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mercredi 26 septembre 2007

samedi 1 septembre 2007

مدكرا ت عسكري




SIDI ABD EL AZIZ
(de novembre 1955 à janvier 1956)
En novembre 1955, nous quittons Beni Aïcha pour Sidi Abd el Aziz. C'est une minuscule localité construite autour des deux maisons forestières qui nous servent de cantonnement. Elle est située en bord de mer, à mi-chemin entre Djidjelli et El Hanser.
Peu après notre arrivée, le commandant de compagnie me demande de remplacer le caporal L... à l'ordinaire. J'y vois l'occasion de ne plus participer aux opérations de "maintien d'ordre" et j'accepte avec empressement.
EMBUSCADE
Je n'ai pas à attendre longtemps pour me féliciter de ma mutation à l’ordinaire. Trois jours plus tard, la deuxième section, mon ancienne unité, commandée par l’aspirant Poissot, tombe dans une embuscade. C’est le premier "accrochage" subi par une unité de la 3e compagnie depuis mon arrivée en Algérie, le baptême du feu pour la plupart des gars de la 2e section (les anciens ont déjà été "baptisés" en janvier 55, au Djebel Haraba). Depuis notre installation à Sidi Abd el Aziz, chaque soir, une section quittait le cantonnement à bord d’un 4X4 et d’un 6X6, tous feux éteints, pour être larguée dans la nature le long de la route et y attendre d’éventuels déplacements de rebelles. Ce soir-là, les rôles sont inversés, ce sont les rebelles qui attendent leur proie. Par bonheur, nos adversaires n’ont que des fusils de chasse. Ils réussissent néanmoins à blesser le caporal-chef Keller, qui conduit le 6X6. Le véhicule verse dans le fossé. Les gars ont le temps de sauter, de même que ceux du 4X4. Ils ripostent et l’aspirant Poissot parvient à alerter le cantonnement grâce au poste SCR 300 porté par un radio. Le lieutenant part sur le champ en jeep, suivi par le GMC chargé d’hommes en armes, mais le bruit des véhicules alerte les fells qui lèvent le siège. Par miracle nous n’avons que trois blessés. Au retour des rescapés, Keller tient un mouchoir sur son œil et s’écrie :- Occupez-vous de Létal, il est grièvement blessé au ventre. Grassy aussi est blessé.En fait, Létal, un gars de la 54-2A, n'a été qu'égratigné par une chevrotine. Quant à Grassy, il a été victime du choc d’un projectile contre son ceinturon. Peu de bobos pour le premier et presque rien pour le second qui crie cependant comme un veau qu’on égorge. Le plus touché, c’est le plus courageux, l’ami Keller, un Alsacien de la 54-2B pour qui j'ai beaucoup d'estime : il perdra un œil dans "l’aventure". Létal et Keller sont rapidement évacués vers un hôpital avant d'être rapatriés en métropole. Nous ne les reverrons jamais. Plus tard, nous apprendrons que Keller a été promu sergent et décoré de la médaille militaire, une "belle jambe" pour un œil perdu. J’ai néanmoins entendu des sous-officiers de carrière critiquer cette décoration : - La médaille militaire pour si peu, on aura tout vu, Keller a dû être pistonné !
Voir planche de photos
UN CADAVRE SUR LES BRAS !
Mes nouvelles fonctions m'amènent à participer à toutes les liaisons de ravitaillement avec le PC du bataillon, à El Hanser. C'est à l'occasion de l'une d'elles que je prends la plus belle engueulade de ma vie par le capitaine Irrigaray, commandant de compagnie de la CCB (compagnie de commandement du bataillon)
- Allez dire à votre commandant de compagnie que la CCB n'est pas une entreprise de croque-morts.
Le capitaine Irrigaray me postillonne à la figure. Ce Basque tonitruant me fait penser au bonhomme Michelin, mais ce serait un bibendum édifié à l'aide de pneus carrés. Tout est carré chez cet homme, sauf la bouche. Sa bouche, aujourd'hui, c'est l'Etna en éruption. De ce cratère abyssal, creusé entre deux joues rubicondes, jaillissent, dans un tonnerre d'explosions, des projections volcano-salivaires qui m'éclaboussent.
Je fais le dos rond : c'est moi qui prends mais je ne suis pas la véritable cible. Je suis une sorte de miroir réfléchissant qui renvoie les invectives et les postillons vers leur destinataire, le lieutenant Trallat. Une vieille rivalité oppose depuis longtemps les deux officiers. Trallat est un intellectuel, encore jeune, "beau gosse", plein d'avenir, qui a l'impression d'appartenir à une certaine aristocratie militaire. Irrigaray, c'est un vieux soldat, près de la retraite, un ancien sous-off qui a conquis tous ses galons au feu, devant l'ennemi, en 39-45 et en Indochine. On dit, mais peut-être est-ce une légende, qu'en 1940 il a descendu un avion allemand avec un fusil-mitrailleur. Pour ne rien arranger, Irrigaray a été, quelques mois avant mon arrivée, le commandant en titre de la troisième compagnie, mais ses vieilles blessures le rendaient incapable de crapahuter et Trallat assurait le commandement réel avant de devenir le titulaire officiel.
Pourquoi cet orage ? Quelle mouche a piqué Irrigaray ? Ce n'est pas une mouche mais des dizaines de mouches qui tournent déjà autour d'un cadavre étendu à côté de nous, sur le fond du 6X6 : celui d'un vieillard. C'est nous qui l'avons "descendu".
Le matin même, à bord d'un 6X6, un détachement commandé par le sergent-chef Canaquot a quitté Sidi Abd el Aziz pour El Milia. J'en faisais partie pour être "largué" à la CCB au passage. À mi-distance entre Sidi Abd el Aziz et El Hanser, dans la plaine alluviale de l'Oued El Kebir, notre attention a été attirée par un groupe d'hommes qui couraient à travers champs, en direction d'un bosquet.
- Ils ont des armes ! Fusils-mitrailleurs en batterie ! Feu !
Canaquot a sorti ses jumelles et c'est lui qui a lancé ce cri. Les deux mitrailleurs ont jailli de leur véhicule ; en quelques secondes, ils sont allongés sur le bord de la route et ont vidé quelques chargeurs sur leurs cibles mouvantes qui sont déjà bien loin.
- On en a eu un ! Il faut aller le chercher.
Aujourd'hui, Canaquot, c'est Delattre à Strasbourg ! Il commande en chef et vient de remporter la victoire ! On va chercher l'homme abattu pour le ramener à la route. C'est un vieil Arabe, en djellaba blanche, la tête enturbannée dans un chèche sale. Il est bien mort, victime de sa vieillesse qui l'a empêché de courir aussi vite que les autres. Quelques balles dans la poitrine ont écourté une vie qui n'aurait sans doute pas duré encore bien longtemps. Une jambe a été à demi sectionnée par une rafale, elle ne tient plus que par un lambeau de chair.
Le sergent-chef Clébert qui nous accompagne me tire à l'écart :
- Tu les a vus les fusils, toi ? Y en avait pas ! Des paysans qui ont eu la trouille et qui se sont barrés ! C'est tout du pipeau, mais il la veut, sa citation !
Seule certitude, ce pauvre vieux n'avait pas d'arme. Pourtant son cadavre est bien là et il faut en faire quelque chose. Canaquot a la solution :
- On le met dans le 6 X 6 et, puisque tu restes à El Hanser, tu t'en débarrasses là-bas. C'est à moi qu'il parle et c'est comme ça que je me retrouve devant le capitaine Irrigaray avec "mon" macchabée... pour me faire engueuler. Pendant des heures, je l'ai gardé, ce foutu cadavre en attendant le retour de la liaison sur El Milia. Canaquot est contraint de le rembarquer à bord du 6X6. Nous le déposons dans un fossé au bord de la route entre El Hanser et Sidi Abd el Aziz.
RAZZIA SUR LE BÉTAIL
C'est au cours de notre séjour à Sidi Abd el Aziz qu'est inaugurée une pratique destinée à devenir routinière : la razzia sur les bovins. Au retour des opérations menées par la compagnie, de plus en plus souvent, on me ramène une vache : butin de guerre ! Elle est promptement exécutée par mes cuisiniers qui révèlent d'excellentes qualités de bouchers, surtout U.... Dans le calcul quotidien des prix de revient des repas, j'entre cet apport sous la rubrique "viande gratuite", un euphémisme ! J'imagine que mes comptes sont contrôlés quelque part en haut lieu et, pourtant, jamais on ne me posera de question sur l'origine de cette viande gratuite.Nous ne sommes pas les seuls à procéder à ces razzias. Selon les informations que j'ai glanées à El Hanser lors de nos liaisons, d'autres compagnies du bataillon - pas toutes - en font autant ou même davantage.Au début, je me suis offusqué de cette pratique, mais je n'ai rien à dire, l'opération étant couverte par le commandant de compagnie lui-même. Toutefois, avec le temps, mes scrupules s'estomperont. Au fond, ça m'arrange bien car l'économie réalisée sur la viande me permet d'améliorer l'ordinaire de manière significative et d'augmenter le "boni". Mes réticences diminueront donc peu à peu devant des considérations bassement mercantiles. J'en arriverai même un jour à interpeller ainsi des gars sur le point de partir en opération :
- Si vous pouvez, ramenez-moi une vache.
C'est ainsi que ma complicité passive devient insensiblement de la complicité active.
OPÉRATION ÉVENTAIL
La fin de notre séjour à Sidi Abd El Aziz est mouvementée. Dès le 8 décembre est engagée une opération de très grande envergure appelée "opération éventail". Sans doute n'est-elle rien à côté de celles qui seront déclenchées beaucoup plus tard, dans les années postérieures ma libération. Mais, en décembre 55, moins de quatorze mois après le début des "événements", elle paraît gigantesque. Elle a pour cadre la presqu'île de Collo. Une région rêvée pour des HLL (hors la loi, dans la terminologie militaire) : relief tortueux, couverture végétale inextricable, un véritable repaire. Leurs coups de main terminés, les commandos rebelles peuvent y trouver un refuge très sûr. L'état-major français décide donc de le passer au peigne fin. Dans un premier temps, on réalise un véritable encerclement. Toutes les unités basées dans la région sont affectées à cette tâche. La troisième compagnie n'y échappe pas. .... elle s'installe à demeure sur les rives de l'Oued El Kebir qui limite la presqu'île de Collo vers le Sud-Ouest. Sa mission principale est la surveillance de deux bacs posés par le Génie pour permettre à la troupe de traverser le fleuve. Au début, le campement est de fortune, sous tentes individuelles. En plein hiver ! Au bout de quelques jours, on installera des préfabriqués moins inconfortables.
sLe grand patron de l'opération de "nettoyage" de la presqu'île de Collo est le colonel Bigeard, à la tête de ses paras. Je n'ai jamais entendu parler de lui à ce jour mais je réalise vite qu'auprès des sous-officiers d'active de la 3e compagnie, tous anciens d'Indochine, il a la cote ! Le sergent-chef Tiédet ne jure que par lui ; il rêve de servir sous ses ordres et vante ses mérites à longueur de journée. À la suite de cette opération et jusqu'à une période très récente, j'aurai une certaine considération pour lui. En effet, ayant appris que diverses compagnies basées dans le coin amélioraient leur ordinaire en prélevant leur dîme sur les troupeaux, il pique une grosse colère et interdit la pratique. Combien de bovins doivent-ils une survie provisoire au colonel Bigeard ? Intellectuellement, cette attitude me plaît même si le sous-officier d'ordinaire que je suis doit se passer d'un appoint alimentaire "gratuit" non négligeable. Beaucoup plus tard, au cours de l'année 2002, j'aurai l'occasion de lire l'ouvrage de Pierre-Alban THOMAS* : j'y découvrirai une critique argumentée des méthodes de Bigeard lors de cette opération et réviserai mon jugement sur le personnage.
* "Les désarrois d'un officier en Algérie" ed. Le Seuil